(extrait du discours du 21 juin 2017)
Le 5 juin 1944, à 21h15 et pendant 16 minutes, la BBC diffuse une série de messages personnels destinés à la Résistance Française, indiquant que l’heure du débarquement a sonné. Parmi ceux-ci, tous les messages destinés à la résistance périgourdine sont émis, lançant les plans prévus, sabotages de rails, routes et télécommunications, guérilla et points à contrôler. L’un de ces plans, préparé depuis plus de 6 mois, concerne un projet d’envergure (« Irunside ») : en liaison avec un deuxième débarquement sur la côte atlantique au sud de Bordeaux, au jour J+10, de troupes alliées stationnées en Afrique du Nord, il s’agit du parachutage, à l’amont de Bergerac, d’une division américaine de 20 000 hommes, qui descendra la vallée de la Dordogne vers Bordeaux, faisant liaison avec les troupes débarquées. Mythe ou réalité, opération réelle ou opération de désinformation pour tromper l’ennemi, l’affaire est d’importance, car il s’agit de bloquer le plus longtemps possible dans le sud de la France les divisions Panzer allemandes qui y sont stationnées et de retarder leur montée vers le front du débarquement principal.
Commandée par Bergeret, la résistance Dordogne Sud s’est donc organisée en conséquence : deux terrains permettant de recevoir des planeurs ont été identifiés, l’un proche de Mouleydier sur St Sauveur, l’autre près de Beaumont ; Mouleydier et son pont qui commande l’accès à l’aérodrome de Roumanières et seul pont reliant ces 2 terrains, représente une position stratégique, alors que 3 lignes de défense sont prévues, barrant la vallée de la Dordogne à l’aval de Bergerac, pour protéger l’opération.
Le 6 juin, alors que le débarquement commence en Normandie, tout se met en place à Mouleydier et dans le Bergeracois, dans une atmosphère emprunte de joie et de gravité. La garnison allemande de Bergerac tâte le dispositif de la résistance vers Mouleydier , où Bergeret a établi son PC, et demande des renforts. Ceux-ci, des éléments appartenant à la 273ème Panzer, se présentent dès le 8 juin sur les lignes de défense du Fleix. Durement accrochés par la Résistance, ils n’arriveront à Bergerac que le 10 juin.
Le 11 juin, les troupes allemandes déclenchent une première attaque sur Mouleydier, par le Sud à St Germain puis par le Nord St Sauveur et l’ouest Creysse. Sentant venir le danger, la Résistance avait elle aussi appelé des renforts (groupes Pistolet et François 1er de Bergerac, Max de St Cyprien, Marsouin et Soleil de Belvès. La bataille, violente, durera toute la matinée avec des contre-attaques vigoureuses du groupe Soleil au Sud et du groupe Alsace Lorraine au Nord . L’ennemi est repoussé mais il y a 7 morts côté français (2 la veille lors d’une liaison et 5 le matin dont une victime civile et 4 du groupe Soleil), groupe Soleil dont le chef s’est éteint il y a quelques jours en Arles et que nous associons aujourd’hui à cette cérémonie.
Du 11 au 16 juin, c’est l’incertitude, car les messages de confirmation attendus concernant la division aéroportée n’ont pas été émis, et il devient de plus en plus évident que l’opération n’aura pas lieu. Il faut démonter le dispositif et se replier sur les maquis pour faire de la guérilla. Mais d’aucuns estiment qu’on ne peut laisser à son sort la population de Mouleydier, qui sera finalement défendue coûte que coûte. Le 17 juin, les Allemands attaquent encore par l’ouest et le nord, et sont repoussés ; il y aura 1 mort.
Le 18 juin, une nouvelle unité de renforts blindés allemands remontent la vallée de la Dordogne, pour effectuer un raid contre la résistance périgourdine. Ce ne sont pas des éléments de la division Das Reich, comme beaucoup l’ont cru à l’époque, mais de la 11ème Panzer, la division Fantôme, Gespenster Division, à cause de son « logo » comprenant un squelette enveloppé dans un suaire.
A Mouleydier, le 20 au soir, les sections locales, épuisées, sont relevées par des groupes extérieurs, essentiellement du groupe Cerisier de Lalinde et Alexis du Lot. Mais beaucoup de résistants relevés sont restés sur place.
Le 21 juin, à l’aube, la 11ème Panzer passe à l’attaque à Mouleydier, par le Sud puis le Nord avec chenillettes, chars Tigre, infanterie, mitrailleuses, mortiers et canons, un haut-parleur sommant la population de se rendre. Les Allemands sont, hélas, accompagnés de miliciens Français. La bataille fait rage toute la matinée, mais les résistants devront décrocher, beaucoup étant blessés et faits prisonniers. Ayant rassemblé et trié la population, M. Pinquet, maire, en tête, le chef de la colonne allemande décide d’incendier Mouleydier, qui sera pillé auparavant, alors que les résistants prisonniers seront, dans la soirée, passés par les armes, certains après avoir été torturés, et 120 otages hommes conduits à Bergerac.
Il y aura 22 morts, dont 19 partisans-18 fusillés ou égorgés, 164 maisons brulées à Mouleydier, 24 à St Germain & Mons.
A Pressignac, Cerisier s’est positionné avec le reste de son groupe en troupe de couverture et de renfort de l’opération. Il a, avec lui un groupe de gendarmes de Lalinde dont ceux qui l’ont suivi lors de la libération du camp de Mauzac et du groupe Jean de Ste Foy la Grande. Le groupe Loiseau, replié après les combats du Fleix, se situe dans les bois entre Vicq et Ste Foy de Longas. Dans la matinée on entend sourdement le bruit de la bataille de Mouleydier alors que l’avion « mouchard » d’observation survole la région et vient tourner autour de Pressignac. En début d’après-midi, une partie de la colonne allemande continue par Tuilières, vers Pressignac, à la recherche du PC Bergeret, qui s’est replié à Grand Castang.
C’est l’accrochage en 4 endroits. D’abord à Cancelade entre Cause de Clérans et Pressignac où la colonne rencontre un groupe d’échappés de Mouleydier par la forêt de Liorac, Puis la colonne continue dans une prise en tenaille du bourg de Pressignac dans une bataille qui durera 2 heures ; Cerisier ordonne le repli avant que le dispositif d’encerclement allemand ne soit achevé, couvert par les gendarmes qui ont mis un fusil mitrailleur en batterie sous une voiture et arrosent les Allemands en se sacrifiant splendidement. Ceux qui se replient par Lescure, se trouvent nez à nez avec les blindés arrivant par le Sud et se font mitrailler dans les champs de blé. La colonne poursuit vers le lac de Valat et accroche les groupes Loiseau et Ancel à Vicq avant d’arriver au lac de Valat, le PC de Bergeret vide, qu’elle incendie. Là encore, il n’y aura pas de prisonniers de la part de la colonne allemande ; c’est le pillage, l’incendie, l’achèvement des blessés : 34 morts, dont 33 maquisards, et 14 maisons brulées à Pressignac. Le maire, M. Raynaud, parlemente avec courage, et sauve de l’incendie les archives, dans la mairie qui brûle.
Mouleydier, St Germain et Pressignac : 64 morts français au total, plus de 200 maisons détruites, pendant ces quelques jours de fureur, de barbarie et de larmes, dans cette région qui en portera à jamais les stigmates. Maquisards ou civils issus de ces communes, partisans venus de Lalinde, qui paiera un très lourd tribu de sang, des communes voisines de Bergerac, de Ste Alvère, des 2 Ste Foy, hommes venus de l’Ariège, du Lot, du Jura ; Bretons, Alsaciens, Lorrains, Parisiens, paysans, ouvriers, artisans, cadres, étudiants, gendarmes, officiers, hommes de croyance et d’idéologies diverses, mais tous animés d’une même foi patriotique, ils sont morts dans leur devoir et leur volonté de servir la France et la liberté. Joint à celui de beaucoup d’autres, leur sacrifice, au plan militaire, a été essentiel dans ces premiers jours de reconquête de notre territoire, permettant aux armées alliées de consolider leur tête de pont, et d’abréger cette guerre de plusieurs mois. Mais ce serait injure à leur mémoire et aux résistants, que de restreindre la résistance à son seul aspect militaire, si important soit-il. Ce fut un sursaut, un refus, une volonté et un idéal.
Laissons en la formulation à Bergeret, redevenu Maurice Loupias et alors sous- préfet de Bergerac et donc un de vos glorieux prédécesseurs, Madame la sous- préfète, : « la résistance ne fut jamais qu’une réaction de notre volonté de liberté individuelle et nationale ; les Français ont très vite compris que la liberté individuelle ne pouvait subsister dans un pays asservi ; ils se sont unis dans cette mystique de la liberté, dont on peut dire qu’elle est une des plus solides traditions françaises ». c’est encore lui qui proposait que, sur toutes les tombes, les stèles, et monuments aux morts des combattants de la Résistance, on gravât :
Morts pour la France Leurs sacrifices ont abrégé la guerre qui menaçait la Patrie dans son existence même… Gardons au fond de nous-mêmes cette épitaphe, pour conserver et honorer à jamais leur mémoire ! Gardons aussi au fond de nous-mêmes cet état d’esprit qui animait ces femmes et ces hommes pour bâtir un monde nouveau : à un moment où la France doute, où elle apparaît fracturée, nous devons nous inspirer de cet état d’esprit de reconquête, de générosité et de don de soi pour notre Bien Commun.
Benoît Bourla Maire de Pressignac-Vicq
Mouleydier, le 21 juin 2017
NB : l’essentiel des données reprises pour retracer les batailles de Mouleydier et Pressignac provient de premières études réalisées au début des années 1990 par François-Régis Bourla, maire de Pressignac-Vicq de 1989 à 1993 (✝ 1993)