Patrimoine

pages extraites de la revue de l’association Entre Terre et Pierre

Les ruines de Cancelade

            Le père Pommarède, ancien président de la S.H.A.P (1) parlait volontiers « de ces pierres courageuses qui refusent de s’effondrer »

            La tradition orale du village parle d’une occupation romaine avec une fontaine, (fontaine de Peillaudit) un ruisseau, la Sérouse,  propice à la fabrication d’armes (on y a trouvé du mâchefer) et un temple dédié à Mars, dieu de la guerre. Clotaire Ier aurait christianisé le lieu, qui fut cependant brûlé et détruit, abandonné, et dont les villageois auraient réutilisé les pierres au XII ème siècle pour construire l’église de Pressignac.

            Les ruines de Cancelade, qui étymologiquement, signifie un lieu fermé, un cloître..) gardent encore leur secret. Adalbert Gontier du Soulas écrit à la S.H.A.P en 1906, faisant part de travaux de nivellement autour des ruines, de découvertes par Clovis Banes, de Beletie, d’une nécropole à trois niveaux de sépultures, la première aux cercueils de bois, plus profondément des cercueils de pierre, et enfin des urnes funéraires, l’abbé Audierne s’étant approprié l’une d’elles.(2)

            Le père Carles (3) note cependant en 1884 qu’à Pressignac , « Cancelade avait une chapelle de Sainte-Catherine ».  Sainte Catherine, patronnes des filles célibataires, ferait-elle un lien avec la légende de la fontaine de Peillaudit, juste en face ?

Notes :

  • Société Historique et Archéologique du Périgord
  • Adalbert Gontier du Soulas « Pressignac » bulletin de la S.H.A.P p346, 1903
  • P Carles « les Titulaires et les Patrons du diocèse de Périgueux-Sarlat »

 

La fontaine de Peillaudit

            Creusée à même le roc en face des ruines de Cancelade, la fontaine de Peillaudit est carrée, 70 cm de côté et à peu près autant de profondeur. L’eau sourd à l’intérieur du bassin, il semble qu’autrefois, elle ait pu jaillir d’une anfractuosité de la roche. 

De tradition orale jusqu’à ce jour, à Belletie, la fontaine de Peillaudit attire les jeunes filles qui vont se marier ; si la fontaine coule abondamment, les futurs époux seront heureux.

Si la fontaine coule peu…. Mieux vaut revenir un autre jour ! 

 Aldebert Gontier du Soulas, (1) écrit plus simplement en 1903 « qu’on s’y rend de nos jours pour obtenir quelques faveurs comme l’arrêt d’une sécheresse prolongée ». Il évoque aussi en haut du coteau au nord, le « camp des Anglais »  à double enceinte, de forme ovale à l’ouest. Une forge d’armes anglaises aurait existé entre la vallée, ce coteau, et le sanctuaire de Cancelade.

Le chemin des bœufs

            De Cancelade à Pressignac passe un chemin de randonneurs, parallèle à la D36, qui continue d’alimenter la tradition orale. 

            On dit que le premier centre de christianisation à Pressignac se tenait à Cancelade, mais à deux kilomètres en amont de cette vallée de la Sérouze, le village de Pressignac continuait à idolâtrer quelque déesse des eaux dont on a perdu le nom. Le culte était sans doute bien tenace, puisqu’il fut décidé de démanteler Cancelade  pour construire l’église de Pressignac en lieu et place du culte païen.

            On attela des bœufs pour le transport des matériaux et les bêtes connurent si bien leur labeur, qu’elles démarraient de Cancelade lorsqu’elles jugeaient le chargement suffisant dans la charrette, et arrivaient docilement, sans guide, à Pressignac, où elles étaient délestées de leur fardeau.

            À mi-chemin de ce parcours, on peut remarquer aujourd’hui un menhir planté en bordure de champ. Monsieur Christian Coutou l’a découvert en labourant cette pièce de terre. Ce menhir est gravé de signes qui nous sont inconnus.

                                                      

Le menhir en bordure du champ de C.Coutou    détail des gravures du menhir 

 

L’église de Pressignac

            C’est une véritable forteresse, très remaniée au cours des siècles.

Gontier  du Soulas la décrit ainsi en 1900 (1) « La belle église fortifiée de Pressignac, dont le clocher est recouvert d’un toit en bâtière, protégeant un chemin de ronde intérieur, fut construite, au XIIème siècle, avec les matériaux de l’abbaye de Cancelade détruite par les Anglais, après avoir été fondée, dit-on par Clotaire I. Cette fondation est signalée dans l’ancien bréviaire de Sarlat »

            L’humidité est prégnante dans l’église de Pressignac, le mur Nord est abîmé de moisissures et l’eau est souvent présente au niveau des fonds baptismaux. L’église est effectivement construite sur l’une des résurgences de la Sérouze, qui alimentent plus en amont deux retenues d’eau. Gênée par les fondations de l’église, l’eau circule sous terre et resurgit à la fontaine des Cannelles, avant de se déverser dans la Sérouze.

Le chevet à 5  pans est roman, percé d’une baie gothique du XIXème siècle. Une coupole surmonte l’abside, elle-même surmontée d’une tour carrée ou se loge une salle forte.

À l’entrée du chœur, les corbeilles des chapiteaux semblent très anciennes, on remarque dans l’abside un bouleversement dans la construction des arcatures aveugles.

La nef est de style gothique et a dû être refaite au moins à trois reprises, comme on peut le voir sur la forme d’incrustations de charpentes sur la tour orientale où elle s’appuie

(2). A la première croisée d’ogives, un blason de trois roses serait une évocation de la famille des Beaufort, seigneurs de Limeuil et co-seigneurs de Cause-de-Clérans, qui avaient justice sur Pressignac. Ces roses sont présentes dans l’église de Sourzac, (près Mussidan) où une branche de la famille y avait seigneurie. Les Beaufort sont une branche de la famille de Turenne.

blason des Beaufort

 Une chapelle au sud, dédiée à la Vierge Marie, est ornée à la croisée d’ogives, d’un blason effacé.

            Entrant dans l’église, en haut de la porte côté Nord, une sculpture de tête humaine difficilement reconnaissable par mutilation, semble avoir été réemployée là intentionnellement.

            À l’extérieur de l’église, le portail occidental en arc brisé, du XVIème siècle, a visiblement été arasé de ses sculptures, peut-être lors de la Révolution.

On est frappé par les nombreuses pierres provenant manifestement d’un remploi. Au chevet, sous la baie centrale, on distingue ce qui semblerait être une partie d’un chrisme. À la base de la porte latérale sud, on remarque une pierre cannelée réutilisée. Sur la façade occidentale, deux anciens modillons, que l’on trouve habituellement utilisés comme corbeaux au chevet des églises, ont été placés très hauts, comme éléments décoratifs. Il s’agit, à droite du portail, d’une tête d’homme à la bouche tordue, et symétriquement à gauche, d’une tête d’ours mutilée aux oreilles.

                                                                              

Modillon façade occidentale                                        La fontaine des Cannelles

Peu de recherches ont été faites sur l’église de Pressignac dont la fête patronale était le 8 septembre, à Notre-Dame-de-la-Nativité, et qui fut déplacée voici une trentaine d’années au dernier dimanche d’août.

Cette église-forteresse semble témoin d’un passé mouvementé.

Notes :

  • Précis généalogique sur la maison Gontier du Soulas, par Adalbert Gontier du Soulas, imprimerie générale du Sud-Ouest , p175
  • Bulletin S.H.A.P 1906, p.347

L’église de Vicq

            Une grande sérénité se dégage de l’église de Vicq. Souvent remaniée, elle est, au fil des millénaires, la plus ancienne du Périgord connue, avec des murs gouttereaux dont le mortier analysé au carbone 14, a révélé une édification vers l’an 870 (1), soit d’époque carolingienne, préromane.

Antiquité : 

            Deux chantiers de sondage archéologique (2), avec le concours de la municipalité, ont révélé que l’église de Vicq avait été construite sur un sanctuaire antique et funéraire (peut-être un mausolée) détruit par le feu et arasé. Il a été trouvé des pierres brûlées et des tuiles calcinées dans le sédiment, à peu près au niveau de l’actuelle chaire, ainsi que des graines carbonisées de blé, avoine et millet, ce qui laisse présager un dépôt de semences à cet endroit.

La datation de ce sanctuaire primitif ne peut, en l’état des recherches, être très précise : entre l’antiquité et la fin de l’époque carolingienne.

Haut Moyen Age (Vème-Xème siècle)

            De l’église construite au-dessus de cet édifice antique, aux alentours de 860, ne restent visibles à l’extérieur que les murs gouttereaux. Ils sont construits avec des moellons équarris carrés, à la manière des édifices antiques, beaucoup d’entre eux portent la trace du feu : un calcaire gréseux jaune à brun violacé, de provenance locale, avec des incursions rectangulaires posées de façon alternée et provenant de sarcophages du VIème siècle retaillés, la question se posant donc sur l’intention des bâtisseurs.

            L’appareil de ces murs est inédit.

 De l’époque carolingienne reste aussi une petite fenêtre côté sud de l’église, le mur nord étant aveugle, ce qui laisse présager d’un sanctuaire assez sombre, sans doute de façon intentionnelle, condition propice au recueillement et à l’introversion.

dégagement de la fenêtre carolingienne

 

            Plus petite que l’église actuelle, celle-ci devait avoir son entrée au niveau des deux gros piliers intérieurs qui soutiennent le clocher aujourd’hui, et s’étendait jusqu’aux marches qui mènent au chœur actuel, avec un léger avancement, une forme d’abside sur le mur oriental, où se trouvait un autel dont un morceau, en calcaire gros comme le poing, sculpté en méplat et recouvert de nombreuses couches de peinture et de chaux, a été retrouvé.

bloc d’autel (Hervé Gaillard)

            Des restes de grandes dalles calcaires ont été retrouvés, qui probablement recouvraient le sol à cette époque, signe d’une certaine opulence dans la construction.

Moyen Age

            L’église carolingienne a été agrandie au XIIème siècle et lors des fouilles à l’intérieur de l’église on a remarqué sur cette couche une épaisse croûte noire de terre, suite à une fréquentation intense de l’église, peut-être révélateur de jonchées lors de pèlerinages.

            Une tradition de terre sainte s’est révélée avec la légende de Saint-Front, venu ici guérir les lépreux, avec pour vestiges le puits des Ladres au Soulas, et la « place Saint-Front »

                                                                         

 

St Front, chapiteau église du Coulobri à Couze(3)     le puits des Ladres au Soulas (Vicq)

            C’est à cette époque que l’église de Vicq fut agrandie, au chevet et au porche. Au chevet, la construction s’est faite à fond plat, telle qu’elle se présente aujourd’hui.

            Le portail était plein d’intérêt par ses sculptures de figures ou d’animaux symboliques (4).

            Les abords de l’église sont chargés de sarcophages moyenâgeux ; le puits des Ladres et l’ancien lieu-dit Les Mallets témoignent d’une ancienne léproserie.

Époque moderne (XVème siècle – XVIIIème siècle)

            Noble Jehan Gontier du Soulas, marié à Marguerite Roux, forme la première tranche des seigneurs du Soulas en prenant ce nom en 1603, de la Seigneurie du Soulas, située dans la commune de Vicq (4) 

  Blason des Gontier du Soulas 

Il demande à être enseveli dans l’église de Vicq, au tombeau de sa famille, par testament du 3 septembre 1684. Lors des fouilles de 2013, nous avons entrevu un sarcophage à double pente, perpendiculaire au mur sud, entre le grand tableau accroché au mur et le confessionnal, il pourrait s’agir de celui du premier Gontier du Soulas.(5)

C’est à cette époque que le sol de l’église reçut son premier pisé ; on a découvert des morceaux de pisé partout dans la saignée pratiquée en 2013 dans l’église, signe que le pavement actuel a été réutilisé d’après l’ancien.(1)

En 1684, Mathieu Gontier du Soulas, voyant que la sépulture de sa famille dans l’église est devenue insuffisante, obtint de l’évêque de Périgueux le renouvellement du droit de banc, de tombeau et de litre « du côté de l’évangile proche et au-dessous de la chaire à prêcher » et la possession d’une chapelle dédiée à St Matthieu son patron, contre 60 l. dédiées aux réparations nécessaires de l’édifice et l’établissement de la chapelle. (6)

Le 30 mars 1721, une bagarre éclata dans l’église entre les servantes des Gontier du Soulas et celles des demoiselles Jeanne de Crémoux, pour obtenir la première place ! (7)

 La Révolution

En 1793, l’église de Vicq subit l’assaut des révolutionnaires, menée par Pierre Besse, dit « Quatre écus ». Ils mettent à terre la cloche, transportée à Lembras, près de Bergerac. Ils firent ensuite brûler toutes les chaises de l’église, après les avoir entassées dans l’enclos du Soulas.

La paroisse de Vicq, jusque là desservie par un prêtre résidant, fut rattachée définitivement à Grand-Castang (5)

Époque Contemporaine

Les Gontier se font enterrer dans l’église jusqu’en 1828, date à laquelle Pierre Gontier demande à être enterré dans le cimetière de Vicq « là tous sont égaux » (7)

Au XIXème siècle, de grands remaniements ont été apportés dans l’église, qui nécessitait réparations.

En 1848, Edouard Martin fondeur de cloches s’engage à fondre d’ici fin septembre une cloche de deux cents kilos.(8) Monsieur Antoine Achille Lagrèze du Soulas, maire de Vicq, en était le parrain, et la marraine Pauline-Antoinette Caroline de Saint-Exupéry. (9) Lors des fouilles dans la nef de l’église, l’endroit de la fonte de la cloche a été reconnu en début de saignée dans la nef, pratiquement au niveau de la chaire.

  le portail de l’église de Vicq en 2019

Cependant, le clocher de l’église s’effondre en 1866 sur le portail et les murs du château de Vicq, appartenant à Monsieur Lablénie.(10)

Nous n’avons pas vu préciser sur les Archives Départementales que le très beau portail en pierres de Monsieur Lablénie fut reconstruit à l’arrière de sa propriété, sans doute par crainte que le clocher ne s’effondre à nouveau !

le portail du château de Vicq 

Notes :

  1. Nous puisons ici nos renseignements lors de notre présence à la deuxième campagne de fouilles opérées par MM. Laborie et Gaillard, DRAC Aquitaine et de leur rapport paru dans « Châteaux, cuisines et dépendances » textes réunis par Anne-Marie Cocula et Michel Combet – Ausonius éditions 2014. Leurs grandes qualités de scientifiques, doublées du talent pédagogique nécessaire à notre compréhension, nous ont fait prendre conscience du patrimoine exceptionnel dans lequel nous vivons et comment le préserver. Nous les remercions infiniment.
  2. en 2011 et 2013
  3. Ainsi qu’en atteste Pierre Pommarède dans « La Saga de Saint Front » éditions Pilote 1997, c’est sans doute la plus ancienne représentation de saint Front (p214-216). L’église St Front du coulobri daterait du XIIème siècle
  4. Abbé Brugière s.d, 1Mi 421
  5. Précis de généalogie Gontier du Soulas, opus cité
  6. Voir (6) et A.D.D. 2 J 1088
  7. Cf (6), page 69
  8. Archives départementales de la Dordogne E DEP 110
  9. Archives Départementales de la Dordogne 1Mi 421
  10. Archives Départementales de la Dordogne E dép. 1105 

Le grand tableau de l’église de Vicq

Copie par Reynart de la « descente de croix » de Rubens

            Le général Jean-Alexandre Valleton de Garraube, député de la Dordogne, avait demandé au Ministère de l’Intérieur un tableau destiné à l’église de Liorac. Celle-ci reçut, en effet, une copie du Christ « expirant sur la Croix » de Prud’hon.

            On peut imaginer que Monsieur Antoine-Achille Gontier du Soulas, maire de Vicq depuis 1829 et jusqu’en 1848, insista auprès de son député pour obtenir la même faveur du ministre pour l’église de sa commune. Toujours est-il que le Général de Garraube refit une demande pour Vicq et qu’elle fut acceptée.

            Il faut rappeler que depuis 1793, la paroisse de Vicq avait été rattachée définitivement à la paroisse de Grand-Castang sous le nom de Vicq-Grand-Castang.

            Le tableau, réalisé par Mademoiselle Lefebvre, fut malheureusement livré à GrandCastang. Le maire de Grand-Castang a bien remercié le ministre, en signalant toutefois que son confrère de Vicq était venu réclamer le tableau et « qu’il n’avait pas voulu lui donner » , tableau qui a aujourd’hui disparu.

            Et le général de Garraube de repartir en campagne près du ministre pour qu’un autre tableau soit donné à Vicq !

            Le généreux ministre attribua une « descente de Croix » copie de Rubens, dont l’original se trouve au musée des Beaux-Arts de Lille, et dont le copiste, Edouard Reynart était conservateur de ce même musée. Les Archives Nationales font état de la somme de douze cents francs allouée à l’artiste pour cette acquisition.

            Rubens avait peint plusieurs descentes de Croix, dont celle du musée d’Anvers, assez semblable à celle de Lille et donc de Vicq. Les dimensions de la copie sont semblables à celles de l’original.

            Les personnages entourant le Christ sont, de bas en haut, dans le sens des aiguilles d’une montre et à partir de Jean, en robe rouge, soutenant le corps : Marie-Madeleine en robe satinée, Marie Cléophas, dont on ne voit que la tête, qui est la sœur de la mère de Jésus, Marie, mère de Jésus, en robe bleue ; la vieille femme au-dessus, déjà peinte dans une adoration des Mages par Rubens, pourrait être la mère du peintre. Le personnage rouge, dans l’ombre, qui s’écarte de la Croix, pourrait être Judas. Le personnage arc-bouté au-dessus de la croix est Nicodème, de l’autre côté de la croix, tenant la main de Jésus, un serviteur, et Joseph d’Arimathie plus bas, avec un turban.

            Tout en bas du tableau, on remarque la bassine de cuivre, la couronne d’épines, le périzonium taché de sang, l’éponge et les clous, objets placés là bien intentionnellement, forts en symboles.

            Nul ne se souvient avoir vu ce tableau accroché, mais simplement apposé à terre contre le mur nord de l’église. Il était très dégradé en 1993 et sa restauration estimée à 20 000 francs. Il fut cependant réparé et accroché, hors de son cadre, sur le pan sud de l’église, près du chœur.

            Note :

            Tous ces renseignements nous ont été fournis par Monsieur Ribot, du Bouygou, et d’après son article paru dans le journal municipal en  décembre 1993.

Le tableau et sa copie

                                                                         

L’original de Rubens à Lille                                         La copie par Reynart à Vicq